mercredi 14 janvier 2009

L’agence immobilière

Elle était située rue de Metz. Petit boulevard emprunté mais peu fréquenté. Grande ligne polluée par les nombreuses voitures, elle nous menait tout droit au centre ville. C’était une rue grise et morose, sombre et triste, sans âme, sans vie. 

Les magasins de la rue fermaient les uns après les autres comme si une épidémie avait touchée le quartier. Le bureau de tabac en premier, puis ce fût le tour du restaurant qui ne voyait plus de client depuis longtemps. L’église mettait de l’animation de temps à autre, à l’occasion d’une messe, au gré des décès. On entendait alors les cloches sonnées qui semblaient dire qu’il restait encore un peu de vie, mais qui sonnaient finalement le glas de la rue de la Metz.

Dans ce quartier on y trouvait surtout des logements, en particulier des résidences d’étudiants. Très prisée par ces derniers, la rue de Metz avait l’avantage d’être proche du centre ville mais à l’extérieur de l’agitation. Ce n’était qu’un passage où les gens ne s’arrêtaient que par accident. Il y restait tout de même une pharmacie et une boulangerie, irréductibles et nécessaires à la survie du quartier. Malgré eux, on pouvait s’apercevoir de l’état de décomposition de la vie. Le regard du peu de personnes que l’on pouvait croiser était vide, une lueur d’impatience se reflétant parfois. Impatience de sortir de cette dimension, de retourner à la vie. On aurait cru voir passer des fantômes déambuler dans un monde qui n’est pas le leur, hantant ce lieu pour lui donner un aspect encore plus sinistre. Le ciel, souvent gris, ajoutait à ce tableau une touche finale digne du plus lugubre des romans noirs. 

Sur les trottoirs fissurés et colmatés et recolmatés, des traînes d’urine, on ne sait de quelle espèce à deux ou à quatre pattes, ces odeurs putrides de liquide viscérale, s’harmonisaient parfaitement avec les déjections qui, à en douter parfois, viennent des profondeurs anales de nos amis canins. Par temps chaud et sec, sans vent, la température élevée, l'ambiance olfactive de la rue nous faisait prendre conscience de la détresse animal. Mais par temps de pluie, le continuel slalom inter-crottes nous faisait penser en tout état de cause que les maîtres des chiens n’ont pas conscience de la pudeur que peuvent avoir leurs animaux domestiques. A moins que les chiens n’aient pas conscience de l’impudeur des hommes qu’ils promènent. 

Dans tous les cas, la rue de Metz, lugubre, silencieuse par le bruit des moteurs, sale et grise, puante et inerte, nous donnait l’envie de passer de notre chemin rapidement tel une victime pourchassée par son serial killer. L’envie de se réfugier chez soi ou ailleurs nous prenait telle une envie de vomir après avoir trop bu. 

Mais, au milieu de cette étrange atmosphère, en plus d’étranges commerces orthopédiques ou autres tatoueurs douteux qui donnaient encore plus d’angoisse à cette pittoresque scène, subsistait une petite agence immobilière. Elle était composée de deux pièces principales, une entrée et deux autres petites pièces dans le fond. Elle se démarquait de la rue par de grandes vitres laissant apercevoir ce qui s’y passait. A chaque passage devant l’agence on y pouvait voir les rares clients parlementant avec les employés. Cette visibilité de l’extérieur était une particularité de l’agence immobilière. En effet, même le soir tard il arrivait que les lumières de l’agence éclairent les ténèbres de la rue. Lumières allumées, personne en vue, l’écran de l’ordinateur allumée, visible de l’autre bout de la rue, personne, l’imprimante allumée, la photocopieuse sortant quelques feuilles jumelles, personne, les portes intérieures grandes ouvertes et toujours personne. Inquiétante vision que partageait chaque passant qui, aux premiers abord était heureux de voir de la lumière. Mais cette scène angoissait quiconque la surprenait ; un frisson glaçant le dos qui nous force le pas, laissant derrière, ces lumières mortes, antre d'un clown dévoreur de chaire humaine, un monstre de dessous de lit. 

L’agence est-elle hantée ? Travaillait-elle toute seule la nuit, sans les employés ? Etait-ce le temple de membres d’une secte qui invoquent le diable par des prières vaudous ?

En y repensant, les clients étaient vraiment rares. Comment ce faisait-il que son activité marchait avec des clients fantômes et ressuscités alors que les autres commerces tombaient en domino ? 

A chaque passage devant l’agence immobilière on ne pouvait s’empêcher de se poser toutes ces questions, que l’on ne se pose plus vingt mètres plus loin ni vingt mètres avant. Mais pour les curieux, il y avait un mystère, une énigme à résoudre, un Sherlock dans la peau, un Simenon dans la tête. Que se passait-il dans cette petite agence ? Il y avait sûrement une raison valable, logique et concrète. 

En effet, de temps à autres, parfois, souvent et régulièrement on pouvait voir un autre ballet tout au plus cocasse. Les employés, ou ce que le spectateur désignait comme les employés, prenaient l’apéro avec leur patron. Un homme grand, une forte carrure, une cigarette à la main quand ce n'était pas un cigare en bouche, son verre de whisky ou d’un vulgaire scotch pas trop cher quand même, assis dans son fauteuil haut en cuire noire et repose bras en imitation de noyer. L’homme, élégant tel un commercial sûr de lui dans la vente d’aspirateur, trônait au milieu de son harem de secrétaires et de sbires plus ou moins intéressés. Il aimait ça être entourés, craint et admirer, boire du whisky, faire un tour par les toilettes ou le placard à balai comme s’il s’était trompé d’y avoir malencontreusement amené la plus jeune et plus jolie des secrétaire, celle avec de si jolies fesses et une poitrine à faire palpiter un cardiaque. Tout cela avant de reprendre sa belle grosse voiture pour retrouver sa femme à point d’heure. 

C’est un film ! Et la scène que l’on voyait de l’extérieur nous faisait penser à ce scénario, avec ces personnages et ces rôles précis. Eux, ne nous regardaient pas, comme s’ils étaient seuls, que la vitre n’était qu’un miroir sans teint, une glace pour eux, un reflet, une interprétation. Pour nous, voyeurs, espions, spectateurs la pièce se termina un jour ou la lumière se tut. On peut se souvenir de ce jour car ce fût au même moment l’annonce de l’arrêt des représentations d’une célèbre troupe théâtrale. 

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